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Olivier DAVID
Ecrivain, enseignant, formateur,
je vous accueille chaque mercredi de 20h30 à 23h30 pour des sessions de création littéraire conviviales.
25/11/16 – J’ai avalé Ce monde disparu de Dennis Lehane en quelques jours pour ne pas en finir trop vite avec Le garçon de Marcus Malte. Roman protéiforme bien que d’une irréprochable homogénéité offrant au lecteur une excellence stylistique et narrative que je ne me souviens que très confusément avoir rencontrée. Les premières pages donnent l’impression d’un Cormac McCarthy réécrivant Les saisons de Maurice Pons. La phrase est sèche, le sujet aussi aride que les paysages, tout est plongé dans un onirisme pragmatique à l’efficacité résolument poétique. Le garçon, privé du langage, tâtonne dans un univers rude, en partie dégénéré, porteur d’insolubles deuils ignorant la plainte. Jusqu’à la rencontre d’un lutteur de foire qui va lui enseigner les clés du combat que doit mener le cœur. C’est alors que Marcus Malte change de monture et se tourne vers Jens Peter Jacobsen et une forme de romantisme affuté, féministe, égalitariste, en quête d’un absolu transgressif par nécessité. Univers inespéré pour le garçon sans nom dont Emma fait le centre de tous les mondes. Un hymne au bonheur qui ne cède sur rien, maintient la tension narrative avec la discrète maestria d’un concertiste qui en a fini avec les hourrahs. Il n’y aura que la guerre pour amputer cet Eros magnifique, impudique et respectueux, total et mesuré. Thanatos prend une revanche terrible, infernale, sur cette prétention de la vie à l’ignorer. La guerre de 14 passe au rouleau compresseur de la barbarie en germe dès les premières pages l’accomplissement humaniste que le garçon aura expérimenté aux côtés d’Emma et de son père. La maîtrise de l’auteur conjugue l’alpha et l’oméga sans la moindre affèterie, donne toute sa place à la lumière sans négliger la nuit la plus sombre. Éditée chez Zulma, cette pépite rare a reçu le prix Fémina comme pour excuser la critique de l’avoir remisée à l’écart des injonctions marketing de l’industrie. Il eut été plus cohérent de lui attribuer tous les prix 2016 ou aucun. Le garçon est un chef-d’œuvre qui relève du paranormal, il n’y a pas de concurrence pour un talent aussi enivrant et abouti.
Une phrase, page 669, résume bien le travail accompli par Franzen dans Purity : « Le face à face entre un meurtrier et sa victime était probablement la forme d’intimité humaine la plus forte qui existât. » L’écrivain porte ce face à face à son point d’incandescence en l’appliquant à toute dualité, celle d’Andreas Wolf dans le chapitre L’assassin n’étant que la partie émergée de l’iceberg. Les galeries qu’il creuse dans le for intérieur de chacun des personnages ne confrontent pas ceux-ci à leur Ça ou à leur surmoi, mais à l’autre moi, celui qui, parce que sa cause n’a pas été épousée, leur pourrit l’existence. L’hypothétique réversibilité de ces moi ne suggère à aucun moment une option meilleures que l’autre. Dans l’intime relation dominant – dominé, le résultat reste le même : insatisfaction pathologique. Que dire d’un roman qui avance dans ces tunnels habituellement si peu éclairés et boucle la boucle quelques huit cents pages plus loin, à l’issue d’un thriller rondement mené sur trois continents, autant de générations, et quelques décennies ? La barre est si haute que par temps clair et exceptionnellement dégagé, on la distingue à peine. Pur bonheur.
http://rue89.nouvelobs.com/2016/02/24/a-voir-avant-premiere-rue89-docu-philip-k-dick-263239
Pour ceux qui seront intéressés par le documentaire, l’excellent essai d’Emmanuel Carrère consacré à Ph. K. Dick, Je suis vivant et vous êtes mort.
La chaîne Arte annonce une programmation spéciale, entre le 16 février et le 2 mars prochains, consacrée à l’auteur de science-fiction Philip K. Dick. L’adjectif spécial n’est pas mensonger, puisqu’Arte propose une véritable expérience multimédia avec un documentaire, un jeu vidéo et une fiction à 360° et en relief.
Sur mes cahiers d’écolier
Sur mon pupitre et les arbres
Sur le sable sur la neige
J’écris ton nom
Sur toutes les pages lues
Sur toutes les pages blanches
Pierre sang papier ou cendre
J’écris ton nom
Sur les images dorées
Sur les armes des guerriers
Sur la couronne des rois
J’écris ton nom
Sur la jungle et le désert
Sur les nids sur les genêts
Sur l’écho de mon enfance
J’écris ton nom
Sur les merveilles des nuits
Sur le pain blanc des journées
Sur les saisons fiancées
J’écris ton nom
Sur tous mes chiffons d’azur
Sur l’étang soleil moisi
Sur le lac lune vivante
J’écris ton nom
Sur les champs sur l’horizon
Sur les ailes des oiseaux
Et sur le moulin des ombres
J’écris ton nom
Sur chaque bouffée d’aurore
Sur la mer sur les bateaux
Sur la montagne démente
J’écris ton nom
Sur la mousse des nuages
Sur les sueurs de l’orage
Sur la pluie épaisse et fade
J’écris ton nom
Sur les formes scintillantes
Sur les cloches des couleurs
Sur la vérité physique
J’écris ton nom
Sur les sentiers éveillés
Sur les routes déployées
Sur les places qui débordent
J’écris ton nom
Sur la lampe qui s’allume
Sur la lampe qui s’éteint
Sur mes maisons réunies
J’écris ton nom
Sur le fruit coupé en deux
Du miroir et de ma chambre
Sur mon lit coquille vide
J’écris ton nom
Sur mon chien gourmand et tendre
Sur ses oreilles dressées
Sur sa patte maladroite
J’écris ton nom
Sur le tremplin de ma porte
Sur les objets familiers
Sur le flot du feu béni
J’écris ton nom
Sur toute chair accordée
Sur le front de mes amis
Sur chaque main qui se tend
J’écris ton nom
Sur la vitre des surprises
Sur les lèvres attentives
Bien au-dessus du silence
J’écris ton nom
Sur mes refuges détruits
Sur mes phares écroulés
Sur les murs de mon ennui
J’écris ton nom
Sur l’absence sans désir
Sur la solitude nue
Sur les marches de la mort
J’écris ton nom
Sur la santé revenue
Sur le risque disparu
Sur l’espoir sans souvenir
J’écris ton nom
Et par le pouvoir d’un mot
Je recommence ma vie
Je suis né pour te connaître
Pour te nommer
Liberté.
Paul Eluard
Poésie et vérité 1942 (recueil clandestin)
Au rendez-vous allemand (1945, Les Editions de Minuit)